Comme une branche de laquelle un oiseau s’est envolé

2022/2023

Projet réalisé dans le cadre d’un résidence de création imaginée
par Le Carré d’Art - réseau DIAGONAL





“Comme une branche de laquelle un oiseau s’est envolé” est le fruit d’un travail que j’ai mené dans le cadre d’une résidence de création, sur les enjeux de représentation de la santé mentale.


2022/2023













Durant sept mois, je suis allée à la rencontre des patient.es du centre hospitalier psychiatrique de la Ville de Rennes. Ces rencontres ont nourri ma réflexion et ont donné vie à ce projet. Elles ont d’abord pris la forme de longs entretiens qui m’ont permis d’ancrer ma recherche au plus près de la réalité des personnes concernées. Petit à petit, les échanges se sont faits moins longs et plus légers, les mots faisant place à la photographie. Construit à partir de l’expérience des patient.es et de leur désir commun de bousculer les imaginaires sur les troubles psychiatriques, ce travail invite au dialogue les personnes concernées et la société. Il est composé de deux corpus d’images qui me permettent de développer deux approches narratives complémentaires, l’un des corpus dialoguant avec des extraits d’entretiens.

Ce travail a été exposé du 11 mai au 28 juin 2023 au Carré d’Art. Il a donné lieu à la publication d’un livre (200 exemplaires). Dans ce livre, mon journal de résidence dialogue avec mon travail photographique.


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Exposition à venir : Galerie Le rayon vert - Septembre 2024, Nantes (FR), Centre Hospitalier Guillaume Régnie - Septembre 2024, Rennes (FR)












ENTRETIEN
AVEC ADELINE PRAUD


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Comment ce projet s’est-il construit ?

Au printemps 2022, j’ai fait beaucoup de recherches sur la santé mentale. J’ai lu des romans, des essais, des BD. J’ai écouté des documentaires radiophoniques, regardé des films de fiction et des documentaires. Je suis aussi allée à la rencontre d’associations qui travaillent dans ce domaine : GEM – Groupe d’Entraide Mutuelle, Club House. J’ai aussi regardé ce qui avait été fait par les photographes sur cette thématique. Je tiens d’ailleurs à citer un travail que je trouve remarquable, celui de Jean-Robert Dantou - Les murs ne parlent pas. En deux mots, je baignais dans le sujet lorsque je suis arrivée à l’hôpital Guillaume Régnier à Rennes. J’ai commencé ce travail par deux sessions de deux semaines, durant lesquelles j’ai mené des entretiens avec des personnes hospitalisées. Au départ, j’allais à l’hôpital pour faire des recherches. Je ne pensais pas y faire mes images. Mais très vite, le désir des personnes que je rencontrais de contribuer à une forme de dé-stigmatisation des troubles psychiques à rencontrer le mien. Nous avons alors décidé de travailler ensemble.



Comment les corpus qui composent ce projet ont-ils vu le jour ?



Très vite, une décision majeure a été prise : faire des portraits non anonymes pour nuancer et complexifier les représentations que l’on a sur la santé mentale. Cette orientation me tient à cœur car anonymiser les patients revient à dire : ils et elles ne sont pas montrables, ils et elles ont honte de leur maladie. Je trouve toutefois très intéressant de questionner l’invisibilité de la maladie en rendant anonyme les patients comme l’a fait Jean-Robert Dantou dans l’un des corpus de son travail (une série de portraits qui mélange patients et soignants, sans que l’on sache qui est qui). J’ai cependant fait un autre choix. Assez rapidement, je me suis intéressée à des éléments de nature qui pouvaient symboliser la maladie sous un angle scientifique. Un tronc devenait cerveau. Les branches des arbres me faisaient penser aux ramifications du cerveau, à la construction des idées. Les nuages représentaient l’expérience traumatique qui enclenche la maladie. J’ai d’emblée choisi de mettre en regard mes portraits avec ces détails.

Les portraits et les détails cohabitent avec quelques paysages. Ces éléments du corpus principal se nomment respectivement : Intériorité - Ombre - Extériorité.

Enfin, un dernier corpus est né (Lumière) à partir de mon obsession pour les lampadaires situées dans le parc de l’hôpital. Là encore, je tissais un lien avec le cerveau, complexe et mystérieux, qui parfois déraille. J’ai ainsi produit une série de douze images qui sont associées à des témoignages sur l’expérience psychiatrique. L’exposition et le livre permettent, chacun à leur façon, un dialogue entre ces différents corpus.

D’où vient ce titre ?



Comme une branche de laquelle un oiseau s’est envolé est tout simplement la traduction de l’anxiété chez les africains qui parlent lingala. Je dois cette traduction à Norman Sartorius, l’ancien responsable de la division Santé mentale de l’OMS. Dans un article du journal suisse Le Temps intitulé « Tour du monde de la folie », il explique comment les représentations de la santé mentale sont diverses et ancrées dans leur culture. Il explique aussi comment les noms des maladies elles-mêmes influencent la perception de ces dernières. 

Par exemple, au Japon, le nouveau nom de la schizophrénie peut se traduire par «désordre de la coordination de la pensée », alors que la précédente traduction était proche de « cerveau cassé ». C’est un mouvement issu des associations de malades, de leurs proches et de médecins qui a fait changer le nom de la maladie.


Vous accompagnez votre travail photographique de journaux. Pourquoi ?



J’ai commencé à écrire des journaux il y a dix ans. J’écris lorsque je vis des expériences atypiques dans lesquelles je m’engage à la fois par curiosité et mais aussi pour me débarrasser de préjugés qui m’encombrent. L’idée est simple : si ces expériences bousculent mes propres préjugés, peut-être que les partager peut, à minima, mettre en question les représentations de mes lecteurs.


Vous considérez ce travail comme un work in progress. Comment voyez-vous la suite ?



Durant la résidence, j’ai mis de côté plusieurs pistes de recherche, notamment un travail sur le corps. Cela me tient toujours à cœur de travailler dans cette direction, premièrement car les troubles psychiques s’incarnent souvent dans le corps, deuxièmement, car c’est souvent les traumatismes que le corps a subis qui donnent vie aux troubles psychiques. Plus généralement, je veux poursuivre ce travail car cette thématique me passionne et que je souhaite continuer de travailler avec les usagers et les soignants de la psychiatrie.